La cible idéale pour traiter l’anxiété?

Des neuroscientifiques de Synapsy basé-es à l’EPFL identifient une molécule cellulaire capable de réguler l’anxiété et prévenir la dépression. Située au carrefour de multiples mécanismes cellulaires, elle réconcilie la grande hétérogénéité des observations scientifiques et ouvre la voie à de futurs traitements.

Par Yann Bernardinelli pour le NCCR-Synapsy. Image ©EPFL/Sandi

Les personnes anxieuses sont plus sujettes à la dépression lorsqu’elles sont exposées au stress, mais le lien de cause à effet reste mal compris. La littérature scientifique montre néanmoins que l’énergie mise à disposition des neurones et la morphologie de ces derniers seraient impliquées dans la survenue de comportements anxieux menant à la dépression. Dans une étude publiée dans la revue Biological Psychiatry, des chercheur/euses de Synapsy ont regardé de plus près la composition moléculaire des mitochondries —la machinerie cellulaire responsable de produire de l’énergie— en utilisant des rats de laboratoire. Ils/elles ont identifié qu’une protéine exprimée par les mitochondries de neurones, la Mitofusin-2, est moins présente chez les rats anxieux. Cette protéine est impliquée dans la coordination des mitochondries avec les autres organelles de la cellule. La conséquence de son expression réduite influence tant la morphologie des neurones que leur production d’énergie. L’étude montre que la restauration des niveaux d’expression de Mitofusin-2 chez les individus anxieux permet le retour à un comportement non anxieux et prévient la dépression.

Les maladies liées au stress, comme la dépression, sont un véritable fléau pour notre société. En suisse, la facture du stress s’élevait à 7,63 milliards en 2020, selon le Job stress index de la fondation Promotion santé suisse. Pour la neuroscientifique Carmen Sandi du Brain and Mind Institute de l’EPFL et membre du Pôle national de recherche sur les maladies mentales Synapsy, il est urgent de trouver de nouvelles cibles de traitements contre la dépression et plus particulièrement l’anxiété, car les personnes anxieuses sont plus sujettes à la dépression lorsqu’elles sont exposées au stress. «Les traitements actuels sont peu efficaces, ils ne marchent que pour un petit pourcentage des personnes. Ce succès limité provient très probablement du fait que l’anxiété est la conséquence d’une palette de mécanismes cérébraux différents, menant à des comportements, voire des maladies mentales tout aussi hétérogènes, dont la dépression. Dans ces conditions, il est très difficile d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques», précise la chercheuse.

Trouver le dénominateur commun

Grâce aux travaux de son laboratoire et aux résultats d’études épidémiologiques issues de la littérature scientifique, Carmen Sandi sait depuis plusieurs années qu’il existe un lien entre anxiété et dépression. En effet, ses recherches sur les rats ont pu démontrer que les individus hautement anxieux entraient plus facilement en dépression que les individus avec de bas niveaux d’anxiété, sans pour autant pouvoir mettre le doigt sur les mécanismes liant anxiété et dépression. Dans cette étude, les scientifiques de Synapsy montrent que la morphologie des neurones et la densité de leurs points de contact, les synapses, sont impactées dans une aire cérébrale importante pour la motivation, le nucleus accumbens. Il s’en suit une modification de la connectivité et de la plasticité cérébrale. De plus, les mitochondries sont enflées, produisent moins d’énergie et sont moins en contact avec les autres organelles de la cellule. «Cela laisse à penser que quelque chose se passe au niveau de la coordination entre les organelles. La baisse de production d’énergie implique les mitochondries et l’altération de la morphologie neuronale implique probablement les organelles responsables de la gestion des protéines pour la cellule, comme le réticulum endoplasmique ou l’appareil de Golgi», ajoute-t-elle.

L’anxiété enfin ciblée

Afin de capturer les mécanismes en jeux et identifier des cibles thérapeutiques potentielles, la chercheuse et ses collaborateur-trices ont examiné le comportement des rats en situation de stress, la morphologie de leurs neurones par imagerie, la connectivité de leurs réseaux de neurones par électrophysiologie et l’expression des protéines potentiellement impliquées dans ces mécanismes. «De toutes les molécules analysées, une protéine mitochondriale appelée Mitofusin-2, est la seule à être corrélée avec des défauts de structure des synapses et des mitochondries», indique Simone Astori, chercheur à l’EPFL et coauteur de l’étude. «Mitofusin-2 est sous exprimée dans les neurones du nucleus accumbens des rats anxieux. Comme son rôle est justement la coordination entre les mitochondries et le réticulum endoplasmique, c’est une cible particulièrement intéressante», rajoute Elias Gebara, postdoctorant à l’EPFL et premier auteur de l’étude.

Vers des traitements naturels

Grâce à des outils génétiques, les neuroscientifiques ont ensuite réussi à restaurer la protéine Mitofusin-2 à des niveaux physiologiques dans les neurones du nucleus accumbens des rats anxieux. Les rats ainsi traités n’ont plus de défaut de production d’énergie ni de problèmes structurels au niveau de leurs synapses, mais surtout, n’adoptent plus un comportement dépressif lorsqu’ils sont exposés au stress. «Toutes les fonctions ont été retrouvées, les rats ne sont plus anxieux! Cela laisse à penser que nous avons trouvé une cible idéale pour de futurs traitements», poursuit Elias Gebara. Les chercheurs-euses, avec l’aide et l’inspiration du consortium Synapsy, vont désormais chercher à développer un traitement en ciblant Mitofusin-2. «Nous n’allons pas développer de nouvelles drogues, mais favoriser les voies naturelles. Comme des nutriments spécifiques sont capables de réguler l’expression de cette protéine, nous pouvons jouer sur la diète alimentaire pour mettre en place un traitement», se réjouit Carmen Sandi.

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