Psychiatrie en mutation

Réalisé pour le Centre Synapsy, publié dans Le Temps. Photo de Robina Weermeijer sur Unsplash.

En connectant les avancées des neurosciences avec les connaissances cliniques des troubles psychiques, la psychiatrie se rapproche de son idéal: devenir une médecine personnalisée

Entre 60 et 80 % de la population mondiale est confrontée à des troubles psychiques durant sa vie. C’est le constat accablant d’une étude de l’Université de Copenhague parue en 2023. Or, les troubles psychiques sont associés à une souffrance significative des personnes affectées et à des répercussions socio-économiques énormes, en plus d’être en constante augmentation. L’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) annonçait, en 2019, un coût économique d’environ 21 milliards de francs suisses, soit près de 3 % du Produit intérieur brut (PIB).

Pourtant, notre compréhension du cerveau et de ses dysfonctionnements a énormément progressé durant les cent dernières années, faisant évoluer drastiquement la psychiatre et la prise en charge des personnes avec un trouble psychique. Révolu le temps où les personnes étaient enfermées dans des asiles psychiatriques loin des regards, en bordure des villes. Aujourd’hui, la psychiatrie se veut ouverte, déstigmatisée, intégrée dans la société et fondée sur les dernières avancées scientifiques. Camilla Bellone, professeure au Département des neurosciences fondamentales de l’Université de Genève (UNIGE) et Stefan Kaiser, professeur au Département de psychiatrie de l’UNIGE et chef du Service de psychiatrie adulte des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) dressent un état des lieux. Ils soulèvent le rôle essentiel que constitue l’étroite relation entre les neurosciences fondamentales et la clinique pour faire évoluer la psychiatrie, particulièrement grâce à des programmes de recherche comme ceux menés au Centre Synapsy de recherche en neuroscience pour la santé mentale (Centre Synapsy) de l’UNIGE dont ils sont respectivement la coordinatrice et le vice-coordinateur. Connectez vos neurones et plongez avec elle et lui, le temps d’un article, dans les avancées des neurosciences et de la psychiatrie.

Des causes interdépendantes

Le monde de la psychiatrie s’est longtemps demandé si les troubles psychiques étaient inscrits dans nos gènes, ou s’ils étaient, au contraire, uniquement la conséquence de notre vécu et des aléas de la vie. Aujourd’hui, les recherches montrent clairement que les causes génétiques et les causes environnementales sont intimement liées. Stefan Kaiser précise : « Tout d’abord, nous avons tous une prédisposition génétique qui nous rend plus ou moins vulnérables à certains troubles. Mais ces prédispositions ne sont en général pas suffisantes. Les événements stressants rencontrés pendant la vie sont également des facteurs de risque. » La schizophrénie, typiquement, a une origine génétique forte. Cependant, des causes environnementales peuvent influencer l’apparition de ce trouble, par exemple les traumatismes durant l’enfance, la migration ou la prise de cannabis.

Les troubles sont donc à la fois innés et acquis et les programmes de recherche comme ceux du Centre Synapsy visant à développer ou améliorer les approches thérapeutiques en tiennent désormais compte. Cette vision holistique permet également d’élaborer des stratégies de prévention et d’améliorer la prise en charge afin qu’elle tienne compte des individualités, à savoir le patrimoine génétique et le parcours de vie.

Mauvaises jonctions entre neurones

Avant de pouvoir développer des traitements, il faut d’abord comprendre quels mécanismes neurobiologiques sont affectés par ces deux familles de causes et font tendre le cerveau vers un état pathologique. Un des constats marquants de ces dernières décennies est qu’un défaut au niveau des synapses est observé dans la quasi-totalité des troubles. Les synapses sont les points de contact entre les neurones ou transitent les informations. En connectant ainsi les neurones, elles sont à la base des grands réseaux de neurones qui composent les aires du cerveau, elles-mêmes interconnectées grâce à ces mêmes synapses. Des défauts de connexions peuvent donc avoir des conséquences multiples sur le fonctionnement du cerveau.

De cette observation est née l’hypothèse des synaptopathies, ou les maladies des synapses, au début des années 2000, notamment grâce aux travaux de Thomas Südhof à l’Université de Dallas aux États-Unis et prix Nobel de médecine en 2013. « Lors de troubles, les synapses sont dysfonctionnelles, trop ou pas assez nombreuses », souligne Camilla Bellone avant d’ajouter que « le Centre Synapsy tire justement son nom de cette hypothèse ». Par exemple, une perte de synapses est observée chez les personnes ayant un trouble dépressif majeur. Ces pertes se trouvent principalement dans les réseaux de neurones d’aires cérébrales associées au traitement des émotions, expliquant en partie l’apparition des symptômes de la dépression. De tels résultats montrent qu’il est possible de trouver les corrélats neuronaux et les mécanismes biologiques des troubles psychiques. Et la recherche de ces mécanismes est capitale, car ils peuvent servir de cibles pour de potentiels traitements ou être utilisés comme des marqueurs objectifs pour le diagnostic, voire pour évaluer l’efficacité de traitements.

Une partie de cache-cache entre les troubles

La complexité n’est pas qu’une histoire de réseaux de neurones interconnectés et de mécanismes biologiques. Un des plus grands défis de la recherche actuelle est de savoir comment composer avec la très grande hétérogénéité des troubles, car ils ont plusieurs visages et se confondent souvent. L’autisme, par exemple, possède beaucoup de symptômes différents, ainsi on parle désormais de trouble du spectre de l’autisme (TSA). Deux personnes ayant un TSA peuvent avoir très peu de symptômes en commun. La même approche thérapeutique n’aura donc pas le même effet. De la même façon, des troubles différents ont des symptômes en commun. Par exemple, les hallucinations peuvent être des symptômes de la schizophrénie, mais aussi de la dépression, du trouble bipolaire ou encore du trouble de stress post-traumatiques. Les personnes touchées pourraient donc bénéficier d’un traitement similaire.

Pour résoudre cet épineux problème de connexion entre les troubles, le Centre Synapsy a développé des programmes de recherche transdiagnostique. « Pour ce type de recherche, on se focalise sur quatre grandes fonctions cérébrales qu’on utilise dans la vie de tous les jours et qui semblent être particulièrement affectées par les troubles : la cognition, la motivation, les sens, la motricité et l’éveil », précise la professeure Bellone. L’idée de cette approche est d’obtenir une compréhension des troubles psychiques qui ne se limite pas à leur catégorisation, puis de décortiquer la façon dont ils impactent le comportement humain afin de trouver des solutions thérapeutiques spécifiquement dirigées contre les dysfonctions cérébrales au contraire de ce qui s’est fait par le passé.

Unir les domaines de recherche

La recherche fondamentale a donc fait d’impressionnantes avancées et des traitements potentiels ont vu le jour pour être testé en clinique. « En effet, la clinique a aujourd’hui les moyens pour examiner l’efficacité objective de nouveaux traitements, même si ceux-ci devront être encore affinés. Et pour cela, il est important de pouvoir revenir vers la recherche fondamentale avec les données issues de la recherche clinique », indique Stefan Kaiser.

Une collaboration étroite entre recherche fondamentale et clinique est donc nécessaire pour que, peu à peu, la psychiatrie devienne une discipline médicale de précision. Si beaucoup reste à faire, les diagnostics sont déjà de plus en plus basés sur des biomarqueurs spécifiques et sur l’historique des personnes touchées. Les traitements, pour leur part, sont de plus en plus centrés sur les symptômes.

Échanger avec le public

« En cette période où l’impact des troubles psychiques sur les individus et la société ne fait qu’augmenter, il est plus que nécessaire de transmettre ces messages porteurs d’espoir au grand public. D’autant que les troubles sont encore largement stigmatisés par la société. C’est pour cette raison, pour se connecter avec le grand public, que le Centre Synapsy a décidé d’organiser un festival sur la santé mentale », précise Stefan Kaiser. Durant toute une journée, les acteurs et les actrices de la recherche fondamentale et clinique du Centre Synapsy partageront leur recherche au travers d’ateliers didactiques, d’expositions, de conférences et de tables rondes.

De nombreuses et de nombreux artistes viendront aussi illuminer cette journée ludique par la musique, le théâtre, et le rire. Thomas Wiesel présentera notamment son regard sur la santé mentale lors d’un stand-up. « J’ai fait quelques blagues sur ma relation avec mon thérapeute dans mon dernier spectacle, et autant les thérapeutes que les patients m’ont dit que ça leur avait fait du bien d’entendre parler de ça sur scène. Ça casse certains clichés qui ont la peau dure. » Car l’humour a aussi une fonction importante dans la déstigmatisation des troubles psychiques. « Le travail de l’humoriste », partage-t-il, « c’est d’ôter la charge émotionnelle des sujets difficiles comme la santé mentale afin que ce soit plus facile pour tout le monde d’en parler. »

Alors, envie de parler de santé mentale? Rendez-vous le 5 octobre à partir de 16 h au Bâtiment des Forces Motrices à Genève.

Plus d’informations : https://www.unige.ch/medecine/synapsycentre/fr/les-celebrales

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