Opérer le mal de dos
Article réalisé pour Le Temps. Photo de julien Tromeur sur Unsplash.
En cas de douleurs chroniques, vivre avec un mal de dos devient un véritable sacerdoce. Depuis que la chirurgie a évolué vers plus de précision et de sûreté, elle peut être une option salvatrice dans bien des cas.
Estampillé «mal du siècle» dans les années 1980-1990, le mal de dos perdure plus que jamais au XXIe siècle, porté par le vieillissement de la population. Depuis 1990, le nombre de personnes de plus de 50 ans, plus exposées aux troubles musculosquelettiques, sources potentielles de douleurs dorsales, a fortement augmenté. En Suisse, selon la Ligue suisse contre le rhumatisme, 88% des personnes déclarent avoir souffert de mal de dos au moins une fois dans leur vie, et près d’une sur deux lors des quatre dernières semaines. C’est la principale cause de consultation, d’arrêt de travail et d’invalidité.
Mais de quoi parle-t-on? Les 24 vertèbres, posées sur le sacrum, qui composent le dos ne sont pas équitablement touchées. Les cinq lombaires, situées au bas du dos, sont au-devant de la scène. C’est un point névralgique où la posture assise prolongée, le port de charges, les mauvaises postures ou le poids des ans s’accumulent. Ce sont les fameux «tours de reins», «lumbagos» et «sciatiques» du langage populaire. La médecine préfère le terme «lombalgies». En 2023, l’OMS estimait que 619 millions de personnes en souffraient dans le monde. Si une lombalgie sans lésion relève d’une approche conservatrice pour laquelle l’activité physique est salvatrice, lorsqu’elle devient chronique avec une atteinte nerveuse, la chirurgie peut être envisagée. Tour d’horizon avec Nicolas Penet, neurochirurgien, médecin indépendant accrédité à la Clinique de La Source.
Quand la chirurgie est une option
Les lombalgies ne sont pas un diagnostic en soi, mais plutôt un symptôme. D’origines mécaniques ou inflammatoires, les douleurs peuvent être localisées ou irradiantes, aiguës ou chroniques. Alors, comment savoir si une lombalgie est opérable? Première règle: déterminer si elle est chronique. C’est le cas lorsqu’elle dure depuis plus de trois mois. «Dans 90% des cas, aucune pathologie grave n’est en cause, mais l’impact sur la qualité de vie peut être conséquent», selon le spécialiste. La prise en charge repose alors sur un modèle dit «biopsychosocial». Il s’agit d’évaluer non seulement les causes physiques, mais aussi les freins psychologiques et sociaux. Un programme personnalisé, encadré par des professionnels comme les physiothérapeutes, combinant renforcement musculaire, endurance et mobilité est recommandé.
Mais que faire quand cela ne suffit pas? «Il faut alors distinguer les douleurs isolées de celles qu’on appelle lomboradiculalgies. Celles-ci sous-entendent une atteinte compressive et donc mécanique des nerfs, et on sait les opérer», explique Nicolas Penet avant de préciser: «On convertit en chirurgie uniquement 8 à 12% des patients qui viennent nous voir. Mon travail, c’est surtout d’éviter les opérations inutiles. Je dis souvent à mes patients: si vous étiez ma mère ou ma sœur, je ne vous opérerais pas dans ces conditions. »
Les principales indications ne sont pas strictement codifiées. «Quand il y a une douleur dans la jambe, un déficit moteur ou une perte de sensibilité, c’est là qu’on devient très utile. Mais il y a autant de critères d’éligibilité que de patients», résume-t-il. Néanmoins, aucune chirurgie ne sera pratiquée sans la présence de douleurs persistantes malgré les traitements, et sans une atteinte visible de la colonne sur l’imagerie. «Dans ce genre de situation, la première option est de tenter une infiltration avec le radiologue interventionnel pour injecter un anti-inflammatoire directement dans la zone douloureuse ou passe le nerf incriminé. Si cela fonctionne, même temporairement, la chirurgie sera probablement efficace. Dans le cas contraire, il faut continuer à affiner le diagnostic», ajoute-t-il.
Quatre cas typiques
La chirurgie est donc envisagée uniquement quand toutes les options conservatrices ont échoué et que la personne est consentante. Quatre grands scénarios sont concernés, à commencer par la hernie discale. Un disque intervertébral, sorte de coussin entre deux vertèbres, se fissure et laisse échapper une partie gélatineuse qui comprime un nerf. L’intervention consiste à retirer cette partie, voire à remplacer le disque par une prothèse. Le deuxième cas fréquent est le canal lombaire étroit. Avec l’âge et l’arthrose – une usure du cartilage – le canal rachidien se rétrécit et comprime les nerfs qui y passent. Le chirurgien intervient alors en rabotant l’os minutieusement pour élargir le canal et les libérer. Un troisième cas rencontré relativement fréquemment est le spondylolisthésis, un glissement d’une vertèbre sur sa voisine. On la traite en fixant les vertèbres entre elles à l’aide de vis, tiges, cages* et greffe osseuse, une technique appelée arthrodèse.
Enfin, certains cas rares sont palliatifs, comme lorsqu’une tumeur vertébrale comprime les nerfs. «On peut proposer une chirurgie à une personne atteinte d’un cancer avec compression nerveuse, juste pour qu’elle termine sa vie debout, sans douleur insupportable», confie-t-il. Dans tous les cas, l’objectif est d’améliorer la qualité de vie, de redonner de la mobilité, d’enlever la douleur et de préserver l’autonomie.
Une évolution qui change tout?
Longtemps perçue comme risquée, la chirurgie spinale a profondément changé ces vingt dernières années. Fini les longues incisions et l’immobilisation à l’hôpital. Place à la chirurgie mini-invasive, à l’endoscopie, à la neuronavigation, et aux protocoles de récupération rapide après chirurgie. «Aujourd’hui, on fait de petites incisions de 15 mm. On passe par le ventre ou le dos selon les cas, mais toujours entre les nerfs et les muscles. On surveille en temps réel grâce à l’imagerie et l’électrophysiologie», détaille Nicolas Penet. Les vis sont insérées à travers la peau, les prothèses de disque glissées latéralement sans ouvrir le péritoine – cette fine membrane qui protège les organes digestifs. Tout cela permet de réduire les douleurs postopératoires, d’utiliser moins de morphine et de reprendre rapidement la marche, «souvent dès le jour même», précise-t-il.
La neuronavigation, qui permet d’imager la progression de la chirurgie par un scanner haute résolution en temps réel, est devenue un standard à La Source. Elle garantit une pose ultra-précise des implants. Associée à l’électrophysiologie, qui surveille l’activité nerveuse durant l’opération, elle réduit considérablement les risques. «Ce sont des avancées majeures, mais elles ne font pas tout. Bien opérer reste une question de formation et d’expérience», insiste-t-il. Il souligne aussi les progrès de la collaboration interdisciplinaire avec les anesthésistes, les rhumatologues, les neurologues, les antalgistes et les radiologues, «elle permet d’affiner nos décisions. Par exemple, réaliser une infiltration avec l’anesthésiologiste donne des clés de compréhension indispensables en vue d’une éventuelle chirurgie».
Réévaluer ses a priori
Pratiquer la chirurgie en cas de lombalgie chronique est aujourd’hui une solution crédible, y compris chez les personnes âgées. «On a des patients de 75 ans en pleine forme, qui veulent continuer à marcher, voyager, faire du sport. Si on peut leur redonner cette autonomie, ça a du sens», estime-t-il. Mais il faut rester lucide, selon lui, car «la chirurgie spinale ne fait pas de miracles. On parle de retrouver une vie avec moins de douleur, pas d’une guérison complète. » Le patient reste au centre de la décision, selon ses attentes et son niveau d’activité.
La peur du bistouri, bien que compréhensible, mérite d’être prise en considération. «Il y a vingt ans, la chirurgie était le dernier recours. Aujourd’hui, elle s’est affinée. Elle est une vraie option quand plus rien d’autre ne marche. Ça vaut la peine d’en parler à son généraliste», conclut Nicolas Penet.
*un implant chirurgical pour remplacer le disque vertébral